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Concevoir et promouvoir des albums dans l'entre-deux-guerres

L'héritage du passé

Installée à Tours depuis 1796, la maison Mame se lance sur le marché du livre de jeunesse en 1836, avec la création de la « Bibliothèque de la jeunesse chrétienne », et ce, en étroite collaboration avec le clergé tourangeau. Dès ses débuts, cette librairie d’éducation fut conçue pour promouvoir les positions d’une Église conservatrice, s’inscrivant dans une tradition du livre où le texte, pourvu d’une aura sacrée, impose son autorité. Si les collections pour la jeunesse furent tôt illustrées, l’image n’y tint longtemps qu’un rôle subalterne.


 

L’image au service de la catéchèse

Il faut attendre les années 1880 pour que la maison Mame tente l’aventure de l’album, genre jusque-là promu - sous ses formes les plus soignées – par les éditeurs libéraux. Les premiers à paraître chez Mame sont des ouvrages catéchétiques : l’Alphabet de l’enfant Jésus (1887) et la Très Sainte Bible à l’usage de l’enfance (1889). Le choix du format in-4, l’importance et la qualité des gravures constituent, à l’égard de ce jeune public, une réelle nouveauté chez l’éditeur. Reste que l’esthétique toute classique de ces albums sert l’autorité d’un texte éminemment édifiant. Nous reviendrons sur cet alphabet ...

  • J. de Bellune (chanoine de l’église métropolitaine de Tours), Alphabet de l’enfant Jésus, dessins de M. Carot gravés par M. Méaulle, Alfred Mame & fils, 1887

  • couverture

    Paul Verger (Curé doyen de Vouvray, diocèse de Tours), La Très Sainte Bible à l’usage de l’enfance, dessins de M. Carot, gravés par M. Méaulle, Alfred Mame & fils, 1889.
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Par leur ancienneté et leur pérennité, les albums catéchétiques constituent le « fonds de roulement » de l’éditeur. Ils accompagnent au fil des décennies la diversification des collections et sont seuls porteurs d’un discours pédagogique sur l’image. Ainsi trouve-t-on dans l’avant-propos de La Sainte Bible racontée aux enfants (1911) :

 

La Sainte Bible racontée aux enfants

«  On sait combien l’enfant aime ‘les images’, qui lui sont plus agréables que les pages plus savantes. Aussi en l’instruisant d’abord par ce qu’il voit, on le prépare à s’instruire par ce qu’il lira ensuite. C’est pour ce motif que dans le présent album les images ont été placées nombreuses, et c’est pourquoi le texte imprimé n’est guère ici que le commentaire des gravures. »

Chanoine Pinault (archiprêtre de la cathédrale de Tours), La Sainte Bible racontée aux enfants, Alfred Mame et fils, 1911.

L’ouvrage est divisé en deux parties, La Vie de N.-S. Jésus Christ et L’Ancien Testament, éditées par ailleurs en albums distincts. Ces ouvrages d’éducation religieuse répondent au décret Quam Singulari de Pie X (1910), qui abaisse l’âge de la première communion à sept ans.

 

Si l’entreprise semble emprunter au principe des albums Stahl de l’éditeur Hetzel, la réalité est tout autre. Les textes des albums Stahl se réduisaient à quelques lignes par page ; ici, les récits bibliques occupent l’essentiel de l’ouvrage et ne sont en rien le commentaire d’images dominantes, conçues pour l’enfance. Les gravures sont reprises de la Sainte Bible illustrée par Gustave Doré, un in-folio bibliophilique que Mame avait publié en 1866 !

En 1914, La Journée de deux enfants chrétiens n’échappe que partiellement à ce schéma.

  • journée des enfants chrétiens

    1914, Série 130
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  • polichinelle

    Louis-Maurice Boutet de Monvel, « La Polichinelle », Vieilles Chansons et Rondes pour les petits enfants, Plon et Nourrit, 1884

 

Le texte, qui dicte les devoirs religieux au fil de la journée, est un classique des petites écoles chrétiennes. Il est ici repensé dans ses modalités discursives. Plus d’injonctions, mais la petite voix dialoguée ou introspective de deux enfants sagement enthousiastes. En imitant en couverture une planche de Boutet de Monvel (La Polichinelle), l’album se pare de dehors faussement ludiques. Contrairement au modèle convoqué - qui joue admirablement de la variation-, la tourne des pages se fige ici en tableaux exemplaires et dévotement théocentrés.

Parce que l’enjeu est d’abord idéologique, l’éditeur privilégie l’autorité de l’écrit qu’il s’agit de mettre à la portée des enfants. L’image sert d’apparat séducteur, adapté aux modes du jour. Son usage est d’ordre pédagogique : retenir l’attention, frapper l’imagination, faciliter la mémorisation. Le texte, seul, se perpétue.

  • Journée des enfants chrétiens

    Vers 1930, Série 140
    Réédition à l’identique hormis la couverture

  • Heures enfantines et chrétiennes

    1936, Série 140, Réédition de La Journée de deux enfants chrétiens.
    Texte à peine modifié. Jeu d’illustrations complètement revu.
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Les albums « historiques » et leurs enjeux conservateurs

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La maison Mame est l’héritière d’une longue tradition historique. Elle trouve naturellement à se prolonger dans les albums. Le premier à paraître, Le Bon Roy Henry (1894), est un recueil de planches chronologiquement ordonnées. Cette forme de récit en images est un hapax au sein des publications historiques de l’éditeur. Le concept est emprunté aux Imageries artistiques. Le texte occupe une place mineure et laisse se déployer l’incontestable force dramatique (ou comique) des illustrations de Job.

A. Hermant, Le Bon Roy Henri, illustré par Job, Alfred Mame et fils, 1894.
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Mais l’ouvrage ne sera pas réédité et il disparaît rapidement du catalogue. Les prérogatives du texte sont réaffirmées avec Les Mots Historiques du pays de France (1896), qui connaît trois rééditions avec mises à jour (1910, 1915, 1922) et de multiples réimpressions durant l’entre-deux-guerres. L’avant-propos de l’auteur fait l’éloge de ces bons mots dont la mise en récit sert l’idéologie nationale :

 

Mots historiques

« Non pas que nous garantissions l’exactitude […] de tel ou tel mot ; […] cela importe peu pour […] l’histoire dont nous voudrions voir pénétré le cerveau de nos enfants. […] le Fais-toi chrétien, je te ferai chevalier, prêté à saint Louis, et le J’ai failli attendre, prêté à Louis XIV, expriment très exactement le caractère personnel de ces deux grands rois. L’enfant qui les portera gravés dans sa mémoire, […] y puiser[a], c’est notre vœu, le respect et le culte de ceux qui contribuèrent, malgré les obstacles, à faire grand ce pays de France dont ils doivent à leur tour, assurer l’avenir et préparer l’histoire. »

Les Mots Historiques du Pays de france, illustré par Job, Alfred Mame et fils, 1896.

 

Ce patriotisme inscrit dans la tradition catholique et royaliste est réaffirmé au sortir de la Guerre dans de nombreux albums (poésie, fiction, documentaires).

 
  • Allons enfants de la patrie

    Jean Richepin, Allons enfants de la Patrie ! illustré par Job, Alfred Mame & fils, 1920

  • Tambour battant

    Louis Sonolet, Tambour battant, illustré par Job Alfred Mame & fils, 1922

 
  • Petite Histoire de France

    Jacques Bainville, Petite Histoire de France imagée par Job, Alfred Mame et fils, 1928

  • Jeanne d'Arc

    Georges Goyau, Jeanne d’Arc, dessins de Raymond de la Nézière Alfred Mame et fils, 1930

 
  • couverture

    Par un groupe de pères et mères [membres du comité d’Angers], Petite Histoire de l’Eglise illustrée, illustré par Maurice Berty, Mame, 1933
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  • Conquête du monde paien

    Georges Goyau, A la conquête du monde païen, illustrations d’Edgard Maxence (de l’Institut), Mame, 1933

 

Soldats et prêtres, héros et martyrs de la patrie sont porteurs du « saint Graal » de la nation civilisée. L’entreprise coloniale y trouve sa justification, comme en témoigne l’introduction de Marius-Ary Leblond à La France dans le monde. Ses colonies, son empire :

«Ces missions sont de répandre le catholicisme d’abord, aujourd’hui notre esprit politique et notre humanitairerie […]. C’est par notre Littérature et notre Art que Madagascar ou l’Afrique acquièrent une conscience nette, subtile et élevée de leur beauté, de leur valeur, de leurs devoirs de civilisation.»

Ces albums épais où domine un texte que signent des académiciens (Louis Bertrand, Georges Goyau, Jacques Bainville), sont publiés dans les séries A et D, les plus prestigieuses, celles qui connaissent des tirages bibliophiliques. Ainsi, leur caractère d’autorité se retrouve jusque dans la hiérarchie des collections. Quant aux textes de fiction qui figurent dans la série D, ils regroupent pour l’essentiel des classiques (fables, contes, romans d’apprentissage, picaresque ou d’aventures) soigneusement sélectionnés ou adaptés pour répondre au discours moral de la maison. À l’exception des œuvres de la comtesse de Ségur, tous empruntent à une littérature adulte, abrégée pour les besoins de la jeunesse.


 

Une littérature adulte adaptée pour la jeunesse

Avant les années 1930, rares sont les ouvrages conçus dès l’origine pour la jeunesse. De tels albums se trouvent néanmoins du côté des contes moraux, proches de la berquinade, « naturellement » conçus pour l’éducation des enfants : citons ABC petits contes (1921) de Jules Lemaître et Kildine, Histoire d’une méchante petite princesse (1922) écrit par Marie, reine de Roumanie, tous deux illustrés par Job.

 
  • ABC petits contes

    ABC petits contes, Jules Lemaître, 1921

  • Kildine, histoire d'une méchante petite princesse

    Kildine, Histoire d'une méchante petite Princesse, Marie, reine de Roumanie, 1922

 

couverture

Mais que penser de La Grève des animaux (1908), réédité en 1930 dans une mise en page plus serrée, qui moque les grèves ouvrières de 1907 et ne s’adresse à l’enfance que par sa comique mise en scène animalière ?

Le Figaro du 16 décembre 1908 n’est pas dupe :


« L’actualité la plus brûlante gagne souvent à s’envelopper de fiction […]. C’est ainsi que La Grève des animaux, histoire vraie inventée par Eugène Galland, déchaînera par sa franche gaîté le rire inextinguible des enfants ; cependant que les esprits sérieux brisant l’os goûteront cette fine satire de la grève générale et des gréviculteurs à quatre pattes dont les spirituelles illustrations de Vimar accentuent encore le comique et l’ironie. »

 

1930, Série J
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Au cours des années 1920, le principe vaut pour tous les genres que l’éditeur promeut dans les séries intermédiaires. Sainte Jeanne d’Arc et Sainte Geneviève, de J. Amyot (1921), sont des réductions pour l’enfance d’ouvrages plus savants, illustrées d’austères reproductions en noir de tableaux de maître, de statues ou de gravures anciennes. Il suffit de confronter ces albums à l’Alphabet des saints (1932), illustré par R. de la Nézière, ou à La Légende de saint Nicolas (1934), conte-virelai mis en images par Boursier-Mougenot, pour mesurer l’évolution conceptuelle de ces albums (simplicité du texte, fraîcheur colorée des images).

 
  • Sainte Jeanne

    1921 Série 140

  • Sainte Geneviève

    1921 Série 140

 
  • Alphabets des Saints

    1932 Série J

  • couverture

    1934 Série M
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Du côté de la poésie, les recueils Enfants (1923) et Ma poésie (1925) empruntent à des auteurs comme Lamartine, Hugo et Mme Desbordes-Valmore. Les illustrations en camaïeu de la comtesse Desmiers de Chenon semblent en promouvoir l’esthétique surannée.

 
  • Enfants, 1923

    1923, Série J

  • Poésie, 1925

    1925, Série J

 
 

Chevalerie

Quant à Chevalerie (1931), l’album reprend une pièce de Joseph Bédier, représentée au théâtre français en 1915, pour des matinées de propagande.

Sa mise en album tardive correspond à un glissement du destinataire. L’impression en gros caractères en facilite la lecture, tandis que les dessins de Job dramatisent la solennité des dialogues et la posture héroïque qui les sous-tend.

1931, Série M

 

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