Le parcours d'Albert Uriet : sous le signe de la culture populaire
L'univers graphique d'Albert Uriet : à la recherche d'un temps perdu
L’univers graphique d’Uriet est tout entier aimanté par le souvenir de son enfance populaire. Les « quartiers perdus de la banlieue parisienne, […] aussi paysans que ceux de Notre-Dame d’Oë, Pernay ou Chanceau-sur-Choisille », les figures pittoresques qui s’y croisaient, leur langue et leur culture ont nourri son imagination et façonné sa sensibilité artistique.
A ce fond populaire, s’ajoute le sortilège des premières lectures, qui peuplèrent son pauvre quotidien d’aventures fabuleuses, puisées aux sources les plus diverses:
« Au temps où j’habitais chez mes tantes, j’adorais les soirs de pluie. Je grimpais dans ma petite chambre […] et j’écoutais danser l’ondée sur les toits, tout de suite au dessus de ma tête. Par ma lucarne, j’apercevais un bout de rue toujours déserte et triste. Il y avait un bec de gaz que le vent faisait vaciller. Sa lueur faisait d’étranges soleils sur mes vitres.
Alors, je me couchais. J’ouvrais un vieux livre plein d’histoires de diligences attaquées, de voyageurs perdus dans un chemin creux, d’histoires de veillées (la fontaine sans fond, la fée des grèves) ou bien un recueil ancien d’ornithologie dont les caractères écrasés se troublaient à la bougie. ‘On distingue aisément le grand duc à sa large figure, aux deux plumes de chaque côté de sa tête…’. Et je lisais avec délices, parce qu’au dehors il pleuvait. (Lettre à Jean Paulhan, 1er septembre 1915, IMEC).
Si Robinson Crusoé fut le « la grande passion de [s]on enfance, le nid de tous [s]es rêves » on ne s’étonnera pas qu’il fut aussi le premier album illustré pour la maison Mame, bientôt suivi du Robinson suisse. Uriet puise son inspiration principale auprès de l’imagerie populaire, avec ses bois gravés un peu frustres, serti dans un cadre tabulaire et légendé. La typographie et la mise en page évoquent aussi les petits livres illustrés en taille douce de l’époque romantique.
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Histoire de Robinson, Martin de La Haye, fabricant grande place n°10, à Lille (s.d)
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Histoire de Robinson, Martin de La Haye, fabricant grande place n°10, à Lille (s.d)
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Histoire de Robinson, Martin de La Haye, fabricant grande place n°10, à Lille (s.d)
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Petit Robinson ou les Aventures de Robinson Crusoë, arrangée pour l'amusement de la jeunesse par M. Henri Lemaire. A Paris, à la Librairie d'éducation et de jurisprudence, chez Alexis Eymery, 1822
A cette tradition, Uriet ajoute sans doute, dans ces deux albums, la palette chromatique d’un Gauguin dont il admire la démarche : « Pour faire neuf, il faut remonter aux sources, à l’humanité en enfance. »
Avec le Napoléon (1929), son style évolue. Si le thème et le traitement (trait simplifié, couleurs en aplat) s’inscrivent toujours dans la tradition de l’imagerie populaire, Uriet hérite cependant du modèle laissé par Job.
Comme lui, il se livre à de méticuleuses recherches, réalisant des croquis de costumes directement dans les musées. Il les réinvestit dans des vignettes détourées, désormais étroitement intégrées à l’agencement typographique.
Uriet s’inspire aussi de Job pour certaines compositions, mais il n’épouse pas la violence épique de ses scènes d’assaut, se montrant plus sensible à la désolation laissée dans leurs sillages.
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Napoléon, illustré par A. Uriet
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A. Fabre, A la gloire des bêtes, Alfred Mame & fils, 1913.
Illustré par JOB
Alors que Job se place au cœur des combats et opte pour des perspectives et des sorties de cadre qui valorisent la force guerrière, Uriet ne montre celle-ci qu’en arrière plan. Dans la planche « Arcole », le canon détourné s’inscrit avec la colonne antique dans une diagonale opposée à celle de l’assaut - que souligne au premier plan le soldat au bras levé. Ce dernier a perdu sa main et, à l’instar de la colonne tronquée, il est signe de ruine.
Dans la planche « Sainte Hélène », Uriet reprend à son compte l’usage ingénieux de la « sortie de cadre », dont Job savait tirer de puissants effets dramatiques. Elle permet ici à Uriet de mettre en relief le trousseau de clé qui enferme symboliquement Napoléon dans la solitude ; l’idée est encore soulignée par l’inclusion de son portrait au sein d’un panorama « aux mains des Anglais ».
Enfin, Uriet expérimente dans cet album un nouvel usage des plans et de la profondeur de champ. Il vient à placer au premier plan des personnages qui entretiennent (par le regard et/ou la sortie de cadre) un rapport complice avec le lecteur.
Lorsqu’à partir de 1930, Uriet se charge d’illustrer les albums de contes, ce procédé sera surtout utilisé pour gommer la frontière entre réel et fiction, invitant son lecteur à enjamber la fenêtre graphique ouverte sur l’imaginaire.
Uriet renoue alors avec la fantaisie de ses premières œuvres (Voyage dans l’herbe, l’Eau de mare, Lalie) peuplant ses compositions de gnomes et de lutins, d’un petit monde animal plus présent que ses personnages, marionnettes sidérées, saisies dans des poses de santons. Uriet prend place Sur les chemins de France, dans le sillage d’un Georges Delaw Imagier de la Reine (la Reine Fantaisie bien sûr), faisant entendre la poésie des vieux villages, des vallons boisés, des collines où dorment encore dans le lointain des donjons ou des moulins.
Ce monde rural croqué au fil des promenades ou rapporté du fond de sa mémoire s’incarne dans ses albums en monde de légende. Voici quelques croquis réinvestis dans ses albums :
Et sans doute en va-t-il de même de ces personnages de vieilles qui errent sur le chemin des contes: « J’ai connu dans mon enfance une vieille femme qui allait toujours en haillons et portant un fagot. Elle avait peur des aiguilles et les gens la tourmentaient en lui criant Pique… pique. De là le nom de mère Pic Pic sous lequel on la désignait. Je l’ai mise quelques fois dans mes images. » (Lettre à Henri Pourrat, 15 décembre 1940, Centre Pourrat).
Henri Pourrat, Au château de Flamboisy, 1936
Le chemin des contes mène pour Uriet sur le chemin du passé, « pays de fantômes […], pays où le temps n’existe pas et où l’on trouve toujours les gens et la saison qu’on préfère… ». (Lettre à Henri Pourrat, 31 août 1937, Centre Pourrat)
Albums parus chez Mame (hors volumes de la collection « pour tous » et autres coll. d’après-guerre) :
- Daniel de Foe, Robinson Crusoé, adapt. de J. Groussin, imagé par Albert Uriet. 1923, in-4, 126 p. Réédition augmentée (158 p.) vers 1930.
- Rodolphe Wyss, Le Robinson suisse, adapt. de J. Groussin, imagé par Albert Uriet, 1925, in-4, 157 p.
- Louis Bertrand, Napoléon, images d’Albert Uriet, 1929, in-4, 175 p. Réédité en 1954.
- Miguel de Cervantès, Don Quichotte, adapt. de J. Groussin, imagé par Albert Uriet, 1930, in-4, 160 p. (Les illustrations ont été réalisées en 1927)
- Hans Christian Andersen, Contes d’Andersen, images d’Albert Uriet, 1932, in-4, 166 p.
- Comtesse de Segur, Nouveaux contes de fées, images d’Albert Uriet, 1933, in-4, 172 p. Réédité en 1952, avec une nouvelle couverture.
- Alphonse Daudet, Lettres de mon Moulin. Contes du lundi, images d’Albert Uriet, 1934, in-4, 157 p.
- Grimm, Contes de Grimm, trad. par A. Canaux, ornés d’images par Albert Uriet, 1935, in-4, 160 p. Réédité en 1951.
- Henri Pourrat, Au château de Flamboisy, 1936, petit in-4, 71 p. Réédité en 1946 sous le titre : Contes des montagnes. (64 p. et de nombreux dessins en rouge et noir)
- Les bonnes bêtes, images d’Albert Uriet, 1837, in-16, 42 p.
- Albert Uriet, Le Génie Pattes-de-poule, 1938, in-16, 32 p.
- Albert Uriet, Le Saut dans les nuages, 1938, in-16, 30 p.
- Albert Uriet, L’Oeuf de pluie, 1938, in-16, 28 p.
- Grimm, Blanche-Neige, images d’Albert Uriet, 1938, in-16, 63 p.
- Suzanne Minost, Mon grand jardin, images d’Albert Uriet, 1938, in-16, 34 p.
- Suzanne Minost, Légendes de France, images d’Albert Uriet, 1941, petit in-4, 79 p. Réédité en 1942.
- Charles Nodier, Histoire du chien de Brisquet, illustrations d’Albert Uriet, 1946, petit in-4, 24 p.
- Jacques Boulenger, Les Chevaliers de la table ronde, images d’Albert Uriet, 1948, in-4, 149 p.
- Fanny Sommelet, Le Voyage de Joël, images d’Albert Uriet, 1951, petit in-4, 66 p.