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Le parcours d'Albert Uriet : sous le signe de la culture populaire

Les années de direction (1930-1952)

Bois gravé d'Albert Uriet

Albert Uriet s’installe à Tours au printemps 1930 et prend en charge la « présentation des éditions Mame » (Lettre à Henri Pourrat, 6 août 1931, Centre Pourrat). Dans les faits, il joint à sa fonction de directeur artistique celle de chef de fabrication, « besogne » qu’il assume sans plaisir car elle le contraint par ailleurs à illustrer dans l’urgence les albums qui lui sont confiés. Uriet vivra douloureusement ce travail de commande qui impose à sa créativité un tour industriel.

Bois gravé d'Albert Uriet

 

Ligne graphique et développement des collections

En tant que directeur artistique, Uriet impose définitivement sa ligne graphique aux albums des séries A et D (séries qui connaissent des tirages bibliophiliques) et à certains albums des séries G et J : illustrations couleurs en hors-texte, rigoureusement cadrées et légendées, qui ouvrent ainsi une « fenêtre » graphique ; illustrations en noir dans le texte, selon des agencements variés.

  • Histoire de France

    Jacques Bainville, Histoire de France, ill.par JOB, 1928, Série D

  • Contes de Schmid, trad. A. Canaux, ill. par M.-M. Franc-Nohain, 1940. Série D

 
  • Saint Quentin

    Alphabet des saints, ill. par R. de la Nézière, 1932. Série J

  • C. Nodier, Histoire du chien de Brisquet, ill. par Dot, 1933. Série M

 

Au fil des ans, il élargit l’éventail des collections, afin de toucher un lectorat plus populaire et plus jeune, selon une échelle de prix s’adaptant à toutes les bourses. Les albums, plus souvent confiés à des auteurs-illustrateurs, voient le rôle et la place de l’image se développer.


Défense et illustration du conte

Féru de la culture populaire, Albert Uriet trouve dans le conte une voie d’expression privilégiée pour défendre l’esthétique et les valeurs qui l’animent. Si l’introduction des premiers recueils de contes (Perrault en 1921, Mille et une nuits en 1927) ne sont pas de son fait, il n’en reste pas moins qu’une fois promu au poste de directeur artistique, Uriet oeuvrera sans relâche à promouvoir le genre. Dès 1930, il se réserve d’ailleurs l’illustration des principaux recueils publiés.

  • Contes d'Andersen

    1932, Série D

  • Nouveaux contes de fées

    1933, Série D

 
  • Lettres de mon moulin

    1934, Série D

  • Contes de Grimm

    1935, Série D

 

Tout juste Uriet confie-t-il à E. Dot Les Talismans (1931) et Histoire du chien de Brisquet (1933) de Nodier, à Marie-Madeleine Franc-Nohain Contes et images (1934), à Touchagues une sélection de Contes d’Alphonse Daudet (1936)… lui-même se trouvant engagé dans d’autres projets.

Les Talismans 1931, série M
Contes et images 1934, Série G
Contes d'Alphonse Daudet 1936, Série G
 

Sollicité par de nombreux auteurs et illustrateurs, Albert Uriet défend au sein du comité éditorial les projets qui lui plaisent, soutenu dans ses démarches par le jeune Alfred Mame (qui fait ses premières armes dans l’entreprise et prendra en 1937 la direction du service de l’édition).

 

Portrait d'Alfred Mame, 1951

Mais la tâche n’est pas facile. Uriet regrette parfois de trouver face à lui un comité frileux, soucieux de ménager sa clientèle. Il recommande aux auteurs qui le sollicitent de ne pas « faire peur » et confie à Henri Pourrat :
« Tout ce monde à remuer et qui s’obstine à ne pas vouloir bouger : c’est un peu décevant par instants. Quand je vous verrai, je vous expliquerai le mécanisme de tout cela […]. Je vous dis seulement aujourd’hui qu’en plus de 12 à 15 personnes à satisfaire, il faut encore mettre d’accord l’archevêché et un comité de lectures d’Angers. »

(Lettre du 11 avril 1935, Centre Pourrat)

Portrait d'Alfred Mame, 1951

 

Albert Uriet a longtemps bataillé pour faire reconnaître le talent d’Henri Pourrat. La correspondance qu’il entretient avec cet « écrivain du terroir » témoigne des tergiversations du comité. De 1931 à 1935 pas moins de 4 projets furent envisagés, passant successivement d’un album sur l’Auvergne (au sein d’une série sur les provinces françaises), à une Liturgie pittoresque, un Almanach de la jeunesse et un Gaspard de la jeunesse, réécriture du roman en 4 tomes Gaspard des Montagnes (Albin Michel, 1922-1931). Finalement, le comité s’arrête à une sélection de contes : paraissent en 1936 l’album Au château de Flamboisy et le recueil Contes de la bûcheronne (coll. « pour tous »), tous deux illustrés par Uriet.

 
  • couverture

    Au Château de Flamboisy, 1936.
    Réédité en 1946 sous le titre Contes des montagnes.
    Cliquer sur l'image pour feuilleter l'album

  • Contes de la bûcheronne

    Contes de la bûcheronne, 1947, [1936].
    Coll. « Pour tous » (hors albums)

 

À la réception de Au château de Flamboisy,  Alexandre Vialatte écrit à Pourrat :

«…ton Flamboisy est parfait. Il a eu l’édition que mérite un de ses aspects, celui de l’enfance ; il mériterait peut-être aussi les honneurs du livre classique, à côté de Grimm, et enfin ceux du document de folklore. Je crois que tu as vraiment renouvelé la formule Grimm et Nodier, en la greffant de Perrault, j’entends en adaptant les données du folklore à un genre qui nécessite aussi la verve créatrice et l’invention d’un style particulier. » (Lettre du 20 novembre 1936, Centre Pourrat)

 
 

C’est plus largement ce que défend Albert Uriet à l'égard du genre. Ancré dans une culture nationale chrétienne et rurale, le conte offre à l’éditeur le moyen de concilier tradition et modernité. Entre les mains d’auteurs capables d’en magnifier le style et d’en promouvoir l’esprit, le genre doit asseoir le renom de la maison sur la scène littéraire enfantine.

Reste qu’à l’égard du pouvoir et de la religion, la critique n’est pas de mise. Alexandre Vialatte en fera les frais. En 1935, son conte Hadji-Baba et la reine des carpes, qui égratigne la reine d’Angleterre, n’est pas du goût de la maison. Les contes inédits de Léopold Chauveau, qui opèrent sur la mythologie chrétienne un détournement subversif, ne le seront pas davantage, en dépit de l’enthousiasme d’Uriet. Par contre, les contes pour enfants que Saint-Exupéry avait promis à la maison en 1939, si l’on en croit le témoignage d’Alfred Mame, auraient constitué le point d’orgue de ce renouveau. Le bombardement de l’entreprise mit fin à ce projet. Le texte de Saint-Exupéry paraîtra finalement aux États-Unis, puis chez Gallimard en 1946. Ce sera Le Petit Prince.


Le désengagement progressif d’Albert Uriet

En juin 1940, la ville de Tours est bombardée et l’usine ravagée par un incendie.

  • Destruction de l'usine Mame
  • Destruction de l'usine Mame
 

Destruction des ateliers de l’usine Mame. 1940 (Arch. départ. d’Indre-et-Loire)

 

En dépit des efforts réalisés pour réparer le matériel d’imprimerie, et l’acquisition de nouvelles machines, l’entreprise tourne durant la guerre au ralenti. Albert Uriet, qui voit ses années de labeur  anéanties, « vivote sans trop de goût ». Il quitte Tours pour sa banlieue (Saint-Symphorien). Au décès de sa nièce en 1942, il s’enferme dans la solitude :
« Je vis tout seul à présent. C’est assez dur. De sorte que l’enthousiasme me manque un peu, et c’est presque toujours le décevant ‘à quoi bon’ qui termine mes tentatives. Je n’ai rien fait d’autres que des besognes et n’ai aucun projet sérieux pour l’instant. » (Lettre à Henri Pourrat du 3 juillet 1942)

 
Les Chevaliers de la Table-ronde Les Chevaliers de la Table Ronde, 1948
(1ère de couverture et frontispice),
Texte de Jacques Boulenger
Histoires du chien Brisquet Histoire du chien de Brisquet, 1949
Le voyage de Joel Le Voyage de Joel, 1951
 

Si Albert Uriet illustre encore quelques albums au sortir de la guerre, ses responsabilités artistiques et éditoriales lui échappent peu à peu. A la fin des années 1940, la direction éditoriale est transférée à Paris.

« […] il y a maintenant à la maison [Mame] une sorte de secrétaire général. C’est lui qui décide de tout. Il semble avoir une grande influence sur A[lfred] M[ame]. Il se nomme Jean Baudry. C’est un intime de La Tour du Pin. Je le connais seulement un peu car il est installé à Paris et ne vient à Tours que très rarement. Je crois qu’il était secrétaire de la Revue hebdomadaire. (Lettre à Henri Pourrat, 1er avril 1948, Centre Pourrat)

« […] ce monsieur s’occupe depuis environ un an de la partie littéraire à la M[aison] M[ame]. C’est lui le lecteur officiel […] Tout est bien changé ici et je ne puis guère être utile à Claude D.[…] L’aéropage exerce à Paris. Il est puissant et très habile et pourtant cela ne va pas mieux. (Lettre à Henri Pourrat, 1er février 1949, Centre Pourrat)

En 1952, atteint d’une paralysie partielle du bras droit, Albert Uriet cesse de travailler. Il décède brutalement le 25 mars 1954 à Saint-Symphorien.


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