Collection de l’A.N.R. “Mame (1796-1975) : deux siècles d’édition pour la jeunesse”

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Objectif et méthodes

Le colloque international de Louvain 2002 publié sous le titre Religion, Children’s Literature and Modernity in Western Europe 1750-2000 fait figurer en introduction un état des lieux de la recherche dans ce domaine pour les pays latins, notamment la France : « some areas remain unresearched ; until now most study has been devoted to the big Parisian publishers, while many provincial publishing houses are still waiting a thorough analysis of their book lists, circulation and business history. Further detailed study also remain te be done on publishers’ policies in choosing authors and illustrators and on their international distribution networks. » (p.18)

Le projet ANR présenté ici se donne pour objectif de combler l’un des vides historiographiques les plus importants en termes d’édition au XIXe siècle et au XXe siècle, en procédant à une étude pluridisciplinaire de la maison d’édition Mame installée à Tours à partir de 1796, et en activité jusque 1975, date à laquelle les activités d’édition et d’impression seront séparées.

Charles-Pierre Mame, fondateur de la prestigieuse lignée d’imprimeurs-libraires, s’installe à Angers en 1769. Il devient très vite l’imprimeur le plus important de la région, et prend soin d’installer ses fils, l’un à Angers, deux autres à Paris, un autre enfin à Tours. Après la mort du patriarche et la faillite de la librairie parisienne, les activités de la famille Mame se déploient à Tours pour près de deux siècles. Les lois scolaires qui se succèdent après 1833, et principalement la loi Falloux de 1850, donnent une impulsion sans précédent à la production de livres de prix. Par ailleurs la maison Mame se fait une spécialité de l’édition religieuse, éditant bien souvent ses ouvrages avec imprimatur de l’archevêché, et obtenant à la fin du XIXe siècle le privilège de la Sacrée Congrégation des Rites, qui lui permet de vendre ses ouvrages destinés aux officiants dans le monde entier avec une quasi exclusivité.

A la troisième génération, Alfred Mame (1811-1893) met rapidement sur pied un empire de l'édition de masse, concentrant sur un même lieu toutes les étapes de la fabrication du livre, industrialisant sa fabrication, de l'impression à la reliure, et développant le marché du livre de prix comme aucun concurrent n'a encore eu les moyens de le faire auparavant. En 1848 il emploie à Tours plus de 600 ouvriers, et produit annuellement trois millions de volumes. En 1849 on décompte déjà 1000 ouvriers relieurs à Tours travaillant pour le compte de Mame. La gigantesque usine construite en ville intègre tous les stades de la fabrication du livre, selon des principes rigoureux de division et de mécanisation du travail. Cette logique industrielle se double d’une politique sociale inspirée des théories de Frédéric Le Lay, avec lequel Alfred Mame est lié. Une caisse de retraite et une caisse de secours mutuel sont créées ; la salle d’asile est gratuite pour les enfants du personnel. En 1869 une Cité Ouvrière est construite et accueille 62 familles dans de petites maisons avec jardin privatif, contre un loyer modique. La famille Mame, premier employeur de la ville, est aussi pleinement une famille de notables. Ernest Mame, cousin et beau-frère d’Alfred et un temps co-dirigeant de l’entreprise, est maire de Tours de 1849 à 1865, député de 1859 à 1869, et par ailleurs président de la chambre de commerce. La Maison Mame est donc un phénomène doublement capital, à l’échelle de la production livresque (notamment destinée à l’enfance, via le livre de prix) comme à l’aune de l’histoire des élites industrielles.

Or contrairement aux autres empires éditoriaux du XIXe siècle — qu’on pense, pour s’en tenir strictement aux livres s’adressant à l’enfance, à Louis Hachette ou Pierre-Jules Hetzel — la maison Mame n’a jamais fait l’objet d’une grande étude monographique d’envergure universitaire. La destruction de l’entreprise et de ses archives en 1940, lors du bombardement de la ville de Tours, ainsi que l’absence de dons ou de legs à une institution tourangelle peuvent en partie expliquer cette lacune.

Le projet présenté ici a donc pour objectif de combler cette lacune. Il vise d’une part à fédérer, compléter et développer les travaux existants en matière d’histoire sociale, économique et politique de la maison tourangelle. Il se donne par ailleurs pour but de constituer une assise fiable et si possible exhaustive à toute analyse ultérieure de la production littéraire de la maison Mame dans la perspective de l’édition enfantine. Si en effet la maison ne s’est jamais considérée comme « éditeur de l’enfance », la quantité de sa production ainsi que le mode de diffusion de masse ont fait de lui de facto l’éditeur le plus lu par la jeunesse française au XIXe siècle.

Méthodologie envisagée. Interdisciplinarité du projet

L’équipe envisage d’allier approche quantitative et approche qualitative de façon à ne survaloriser aucune des dimensions de l’objet d’étude.

La première phase du projet, fastidieuse mais nécessaire, correspondra au repérage des sources et fonds utilisables, particulièrement en France mais aussi à l’étranger. L’absence de fonds homogène à Tours se compense en effet par une présence importante des livres dans les bibliothèques de France. Par ailleurs, si les archives industrielles de la maison Mame ont disparu en 1940, les descendants de la famille possèdent encore des documents ; et les anciens clients (particulièrement congrégations à vocation éducative), peuvent avoir conservé correspondance commerciale et archives diverses.

Dans un second temps, la reconstitution du corpus des livres publiés par la maison Mame (particulièrement les livres explicitement destinés à la jeunesse) empruntera ses méthodes à la bibliothéconomie, avec la constitution d’une base de données exhaustive, incrémentée en permanence et supervisée par un coordinateur chargé de veiller notamment à l’élimination des éventuels doublons, au repérage des réimpressions sous un nouveau titre, et au détail des nombres de tirages qui permettra de compenser la disparition des archives matérielles de l’entreprise.

Cette base servira de point de départ aux approches qualitatives postérieures. Celles-ci se réfèreront aux outils de l’analyse littéraire, esthétique, picturale, technique (notamment illustration, gravure, reliure). Les travaux portant davantage sur la dimension sociale, économique et politique du développement de l’entreprise emprunteront de même leurs méthodes aux disciplines afférentes.

Les séminaires et journées d’études jalonnant le projet permettront d’éviter l’éparpillement méthodologique, et de ramener l’ensemble des chercheurs à l’objet d’étude dans une perspective perpétuellement globale, afin de ne pas aboutir à un morcellement de l’objet en micro-études étroitement disciplinaires, mais bien au contraire de faire converger les observations et de confronter les résultats d’enquêtes exprimés dans un langage commun.