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À partir des années 1880, la mise en œuvre de l’école laïque et obligatoire accélère le processus de sécularisation de la société. Pour relever le défi, l’Eglise doit explorer de nouvelles voies et adopter auprès des plus jeunes un autre langage.

La politique évangélique menée par Léon XIII en direction de l’enfance jointe au succès croissant de la pédagogie par l’image, promue par l’école républicaine, explique l’apparition en 1887 d’un nouveau genre chez l’éditeur : l’album. Le premier à voir le jour est un album catéchétique : L’Alphabet de l’enfant Jésus (1887). Entre 1887 et 1951, l’ouvrage connaît 8 rééditions (et de multiples réimpressions).

Quatre d’entre elles opèrent des transformations significatives qui témoignent de l’effort entrepris par la maison Mame pour repenser le message évangélique en fonction de l’enfant auquel il s’adresse et des attentes qui sont les siennes. C’est à ce parcours que nous vous invitons.


Quand l'album se met au service du discours religieux : L'Alphabet de l'enfant Jésus à travers ses rééditions (1887-1951)

Quand les couvertures parlent de leur contenu...

Premier album publié par la maison Mame, l’Alphabet de l’enfant Jésus témoigne par sa longévité de la réflexion menée par l’éditeur catholique pour toucher plus efficacement l’enfance.
Forcée par la « concurrence » laïque à toucher un lectorat plus jeune et à le séduire, la catéchèse abandonne peu à peu son approche autoritaire, dogmatique et notionnelle. L’enseignement par l’image doit permettre, en captant le regard, d’ « atteindre l’âme par les sens ». L’idée se fait jour aussi que pour rendre les principes de la foi plus vivants, il faut mettre l’enfant au centre du catéchisme. L’Alphabet de l’enfant Jésus répond dès la première édition à ce double objectif. Mais l’ambition manque au départ de pragmatisme, tributaire encore des canons esthétiques et de la culture livresque classiques. Il faut cinquante ans à l’éditeur Mame pour parvenir à épouser la sensibilité de l’enfant (édition de 1936), en s’appuyant sur son vécu et son ressenti. L’édition de 1951 explore dans ses dernières extrémités cette adéquation au monde enfantin. La compréhension du divin a gagné en proximité ce qu’elle a perdu en sacralité.


Edition de 1887

Alphabet 1887

Dans l’édition originale, l’enfant Jésus resplendit sous un dais royal. Entouré de mères et d’enfants, il est un objet de vénération. La présence du chrisme sur le socle qui supporte le lit de paille, celle des symboles religieux (la colombe et la fontaine de vie qui surmontent le dais, comme les lettres Alpha et Oméga) instaurent entre l’humain et le divin la distance sacralisée du « signe ».

Le Verbe divin se définit à travers un ordre alphabétique qui seul ouvre les Saintes Ecritures : « Je suis l’Alpha et l’Oméga, le Premier et le dernier, le Principe et la fin  » (Apocalypse de Jean (22,13)). 

 

Edition de 1914

Alphabet 1914

L’édition de 1914 réduit l’écart entre humain et divin. La relation s’établit entre enfants du même âge. Le livre que tient Jésus ouvert porte les lettres AZ et non Alpha et Oméga (le Verbe se veut donc plus familier).

Mais on observe une bipartition entre Jésus en majesté, à gauche, et les enfants, à droite. Le garçon se penche sur le livre tandis que la fillette est en prière, agenouillée.

 

Edition de 1936

Alphabet 1936

Dans l’édition de 1936, le trône de Jésus est masqué par deux anges. Plus que la grandeur de l’enfant roi, c’est sa douceur qui est privilégiée.

Le cadre pastoral de la scène confère à l’échange un caractère d’humilité partagée, même si la composition maintient un écart entre humain et divin.

Le livre saint se confond cette fois avec l’abécédaire traditionnel, initiateur du Verbe sacré et de son ordonnancement (lettres ABCD).

 

Edition de 1951

Alphabet 1951

Enfin, dans l’édition de 1951, l’enfant Jésus, assis par terre, jambes semi écartées, est entouré par un groupe d’enfants qui l’écoute. Il pointe du doigt dans le livre ouvert sur ses cuisses, la lettre P.

Le Livre n’est plus qu’un abécédaire comme les autres et l’alphabet a cessé d’être le signe du sacré. Seul indice de la nature divine de l’enfant Jésus (hormis le titre) : l’auréole qui surmonte sa tête.

 

Ala fin du XIXe siècle, le progrès rapide des sciences a mis à mal le dogme chrétien et largement converti la société aux valeurs du positivisme. Consciente de son déclin, l'Église cherche à réagir par une entreprise de séduction en direction des plus jeunes. Le message change, gagne en simplicité pour mieux se faire comprendre. Le partage succède à l'autorité, le modèle trinitaire devient celui de la famille, l'enfant envahit l'espace du sacré. Dans ce redoublement d'effort pour se faire entendre on peut néanmoins se demander si la maison Mame, comme de nombreux éditeurs militants, ne finit pas par tomber dans le travers d'un folklore enfantin qui concède trop à la puérilité, perdant de vue l'expression du divin.


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