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Le parcours d'Albert Uriet : sous le signe de la culture populaire

Les années d'incertitude

Les années 1919-1929 sont pour Albert Uriet une période riche d’entreprises, mais un temps d’épreuves aussi, jalonné de projets avortés et d’espoirs déçus.

Dès août 1919, Albert Uriet expose à la galerie André à Paris affiches, tapisseries, toiles et manuscrits illustrés durant la guerre (Voyage dans l’herbe, L’Eau de mare et Lalie). Dans son compte rendu, la revue La Vie se montre sensible à la poésie de ce conteur enlumineur, épris du pauvre quotidien qu’il transfigure :
 « De voir le bois, la marmite se met à chanter, un musicien triste s’ensauve dans la neige, un petit homme voyage dans les livres, un autre apprête le lait pour le serpent, un œuf de nuage s’ouvre. Je touche d’abord, dans les images d’Uriet, à cet événement bref et seul : images d’une solitude étrange, où rien n’est extérieur que cet aimable et sûr dessin, à tous les instants plein, et comme s’appuyant à lui-même. Dans les rêves on parcourt un pays familier : et voilà qu’une route inconnue vous mène dans un autre, plein de merveilles. On se dit : c’est donc ici que naissent les contes ? » (G. Roinvile)
« Bibliophiles, rappelez-vous de l’illustrateur né qu’est Uriet : il aime le livre avec passion, […] chez lui l’exécution vaut toujours l’inspiration, et les deux sont d’un poète et d’un bel artiste. » (Pierre Tarwinc)

 

couverture

A cette époque, Uriet rêve d’illustrer en « peintre » le Livre de Monelle et le Roi au masque d’or de Schwob. Mais après le Guerrier appliqué, seul son projet pour Le Grand Meaulnes, initié en 1919, sera  édité en 1925 par l’Association des médecins bibliophiles (Crès). L’album Lalie, soumis par Paulhan aux éditions de la Sirène, sera refusé par Félix Fénéon.

Le Grand Meaulnes, roman d’Alain Fournier, orné d’aquarelles par Albert Uriet, Paris, Société des médecins bibliophiles, 1925

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Vieux voyageurs

A l’automne 1919, Uriet reprend le secrétariat de La Vie (dirigée par Marius-Ary Leblond) que Paulhan vient de laisser pour celui de la NRF. Il fournit à la revue des articles consacrés à l’imagerie populaire, dont il est un fin connaisseur, et des enquêtes réalisées auprès d’artistes et d’écrivains.

Parallèlement, il prend une part plus active à la revue Ariste, collectant textes et bois gravés auprès de ses connaissances. Il collabore à la rédaction de certains numéros. Mais cette revue cesse en 1923, avec le décès du poète mécène Ker-Frank-Houx.

Enquête et dessin réalisés pour La Vie, 15 décembre 1922, « Vieux Voyageurs et découvreurs »

 

Enfin, Uriet travaille ponctuellement comme dessinateur typographe pour Peignot et peint dans son atelier parisien. C’est là qu’il illustre Robinson Crusoé, album que publie Mame en 1923.

 

Publicité Robinson

Dans une enquête réalisée pour La Vie, répondant à la question : « Quels livres désirez-vous illustrer ? », Uriet déclarait :
« Je revois dans la bibliothèque de ma tante un vieux livre à couverture de cuir avec son titre en lettres d’or : Robinson Crusoë. Ce fut la grande passion de mon enfance, le nid de tous mes rêves. Et j’aurais moins de joie, en en faire les images, qu’une profonde mélancolie. »

Publicité parue dans La Vie, 15 décembre 1923

 

Durant l’été 1923, Albert Uriet quitte la capitale pour tenir, avec sa nouvelle épouse Germaine Huet, une pension de famille à Saint-Vigor près de Bayeux : « J’habite ici une immense vieille maison pleine de fantômes et de meubles 1830. »(Lettre à Henri Pourrat, 19 août 1923, Centre Pourrat).

 

Photo Vigor

« St Vigor, pour moi, a cette vertu : il me rend à peu près à moi-même. Je suis bien capable d’oublier tous les gens que j’ai connus depuis 1919 et de laisser la vie que j’ai menée à Paris comme une vieille peau de serpent. C’est que ma chambre, mieux qu’une bibliothèque, contient tous les contes de la terre. »

(Lettre à J. Paulhan, 18 mai 1925, IMEC)

 

St Vigor enchantera durablement l’imagination d’Albert Uriet, au point qu’il lui rendra un discret hommage dans plusieurs albums Mame.

 
Dessin rue St Vigor

 

Si l'on observe bien cette illustration, on constate que le nom de la rue, sous le volet vert, est la rue Saint Vigor.

 

En 1925, Uriet illustre pour Mame Le Robinson suisse, dans la droite ligne du Robinson Crusoé. Le style d’Uriet est à la jonction entre modernité et tradition. L’illustrateur recherche dans la rusticité graphique de l’imagerie populaire une nouvelle forme d’épure, soumise à l’architecture typographique. Il adopte à cet effet un trait simplifié, des couleurs posées en aplat, et une mise en page rigoureuse, où l’illustration hors-texte s’inscrit dans un cadre légendé que soulignent de larges marges.  Ces deux  albums sont salués tant par des écrivains du terroir que par des typographes de la modernité.

 

couverture

«  […] Francis Jammes paraît content du Robinson suisse. […] ‘Cher monsieur, votre Robinson suisse est une pure merveille qui a passionné mes enfants et moi-même, - un chef d’œuvre d’illustrations.’ [….] Il paraît que Georges Auriol s’est emballé sur mes Robinsons et veut m’écrire ? »

(Lettre d’Uriet à J. Paulhan, 16 février 1926, IMEC)

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C'est sur la base de ce succès d'estime que Paulhan et Uriet  soumettent à Gaston Gallimard un projet de collection dans le style des imageries d'Epinal ; collection qu'Uriet aurait dirigée. En dépit de l’optimisme de Paulhan, le projet n’aboutira pas. Il en va de même du projet relancé de Lalie, ainsi que de l’écriture commune d’un court roman, soumis en extrait à différentes revues littéraires, et qui ne fut pas accepté. Fin 1927, le château de Saint-Vigor est vendu et Albert Uriet regagne son atelier parisien. Durant les deux années qui suivent, il partage son temps entre des travaux publicitaires pour Peignot, en étroite collaboration avec Maximilien Vox, et l’illustration d’albums pour Plon, Delagrave et Mame. Son goût pour l’imagerie populaire reste marqué, tant dans le Napoléon (1929) que dans le Don Quichotte (1927) ; non sans dérision : Uriet projette dans le destin de cet hidalgo fantasque ses propres illusions perdues.

 
Napoléon Napoléon, 1929
Don Quichotte Don Quichotte, 1927
Don Quichotte Don Quichotte, 1927
 
 

Illustration de Don Quichotte

« Il y a, près de mon lit, une espèce d’alcôve […]. C’est le dessous d’un escalier de bois. Quand quelqu’un y passe, cela fait un bruit sonore, on dirait les coups qu’on frappe au théâtre. Je me dis : ‘La Rancune, sortez de dessous votre rideau et venez tourner autour de ma chandelle, ou Robinson Crusoé, ou Capitaine Anson’. Ils viennent tous, sans laisser d’ombre sur le mur. »

(Lettre à J. Paulhan, 18 mai 1925, IMEC)

Illustration de Don Quichotte

 

Dix ans se sont écoulés. Albert Uriet dispose d’un vaste carnet d’adresses et d’une expérience professionnelle reconnue. Mais il a progressivement glissé du monde de l’art à celui de l’industrie graphique. Conscient du virage pris, il accepte en 1930 le poste de directeur artistique de la maison catholique Mame.

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